Intérêts moratoires : le Conseil d’État remet les pendules à l’heure

Dans un litige opposant le SIMOUV (syndicat intercommunal de mobilité du Valenciennois) aux sociétés du groupement Eiffage sur le règlement d’un marché de tramway, le Conseil d’État n’admet qu’une partie du pourvoi formé contre l’arrêt de la cour administrative d’appel de Douai. En ligne de mire : le traitement du calcul des intérêts moratoires complémentaires, dont la portée juridique justifiait un examen attentif.
Un contentieux à rebondissements
L’affaire prend sa source dans un marché signé en 2011 pour la construction d’un tramway entre Valenciennes et Vieux-Condé. En 2019, le tribunal administratif de Lille condamne le SIMOUV à verser plus de 440 000 euros au groupement Eiffage, assortis d’intérêts moratoires. Cette décision est annulée en appel en 2021, avant que le Conseil d’État n’intervienne une première fois en 2022 pour censurer partiellement l’analyse de la cour. Renvoyée devant la CAA de Douai, celle-ci statue à nouveau en 2024, ajuste le montant dû, valide le principe des intérêts moratoires et condamne par ailleurs le bureau d’études Ingerop à garantir partiellement le SIMOUV.
Le Conseil d’État confirme l’analyse de fond… à une exception près
Saisi à nouveau par le SIMOUV, le Conseil d’État écarte la quasi-totalité des arguments soulevés : ni le point de départ du délai de paiement, ni la régularité des demandes d’acompte, ni le taux d’intérêt retenu, ni l’assimilation des sommes dues au compte prorata à des obligations contractuelles, ni même l’exclusion de la prescription quadriennale ne sont jugés de nature à remettre en cause l’arrêt. Le raisonnement de la cour d’appel est considéré comme conforme aux exigences du droit de la commande publique.
Les intérêts moratoires complémentaires ne sont pas secondaires
Seul le traitement réservé aux intérêts moratoires dits « complémentaires » suscite une réserve sérieuse. La cour avait appliqué le III de l’article 5 du décret du 21 février 2002, qui prévoit l’ajout d’intérêts supplémentaires dans certaines situations de paiement tardif, notamment en cas de fractionnement ou de dépassement significatif des délais.
Le Conseil d’État estime que la manière dont la CAA a mis en œuvre ce mécanisme pourrait être juridiquement erronée. Le juge suprême s’interroge sur le fondement exact du calcul opéré, sur l’articulation entre paiements partiels et intérêts dus, ainsi que sur la possibilité de cumuler plusieurs régimes d’intérêts pour une même créance. En conséquence, il n’admet le pourvoi que sur ce point précis.
Une rigueur de mise
Cette affaire rappelle que les intérêts moratoires complémentaires obéissent à un régime spécifique, plus complexe que les simples pénalités automatiques en cas de retard de paiement. Le Conseil d’État exige ici une justification rigoureuse du recours à ce dispositif, car son application peut avoir un effet significatif sur les finances publiques.
En matière de paiement, chaque étape doit être documentée, tracée, et interprétée avec précision. Le formalisme contractuel et réglementaire n’est pas une option, c’est une exigence.
Conseil d’État, 7ème chambre, 12/05/2025, 496679, Inédit au recueil Lebon