Absence de distorsion de concurrence : pas d’exclusion sans preuve concrète

Dans le cadre de la passation d’un accord-cadre pour des services de télécommunication de loisir au bénéfice du personnel du ministère des armées, la société Wifirst a contesté la régularité de la procédure, en invoquant l’embauche par un concurrent (Passman) d’un ancien cadre de l’acheteur public et la diffusion accidentelle d’informations confidentielles.
Par une décision du 23 mai 2025, le Conseil d’État rappelle que ni la seule qualité d’ancien agent public, ni la seule diffusion antérieure d’informations confidentielles ne permettent, en l’absence d’éléments supplémentaires, de caractériser une rupture du principe d’égalité entre les candidats.
Une procédure relancée après une première tentative infructueuse
L’Économat des armées avait initialement lancé, début 2023, une procédure annulée après la diffusion involontaire d’informations confidentielles. Une nouvelle consultation est relancée un an plus tard, avec une structuration tarifaire et géographique différente.
Les sociétés Passman et Wifirst soumettent une offre. Les lots 1 et 2 sont attribués à Passman. Wifirst engage un référé précontractuel, estimant que son concurrent avait bénéficié d’un avantage indu du fait de l’embauche d’un ancien administrateur de l’Économat des armées et de l’accès à des données confidentielles.
Le juge des référés annule la procédure. L’Économat des armées et la société Passman saisissent le Conseil d’État.
Pas de manquement sans démonstration concrète d’un avantage indu
Le Conseil d’État rappelle les conditions d’exclusion d’un candidat sur le fondement de l’article L. 2141-8 du code de la commande publique : encore faut-il démontrer que celui-ci a eu un accès à des informations susceptibles de créer une distorsion de concurrence du fait de sa participation directe ou indirecte à la préparation de la procédure.
Or, en l’espèce, l’ancien administrateur de l’Économat embauché par Passman avait quitté ses fonctions deux ans avant le lancement de la procédure, était en arrêt maladie depuis mars 2022, et n’avait pas participé à l’élaboration du nouveau marché. La seule ancienneté de sa fonction passée ne suffit pas à caractériser un conflit d’intérêts.
Diffusion d’informations confidentielles : des mesures correctrices jugées suffisantes
Concernant la divulgation accidentelle d’informations sensibles (dont les grilles de prix de Wifirst) lors de la précédente procédure, le Conseil d’État souligne que :
- La procédure fautive a été déclarée sans suite,
- Un délai d’un an s’est écoulé avant le lancement de la nouvelle consultation,
- La structuration du marché a été significativement modifiée.
Ces éléments constituent des mesures correctrices suffisantes pour rétablir l’égalité entre les candidats. Aucun avantage concurrentiel avéré n’est démontré.
Pas de défaut de définition du besoin
La société Wifirst reprochait enfin à l’acheteur un manque de précision dans les documents de consultation (absence de plan des bâtiments, données imprécises). Le Conseil d’État rejette cet argument : le besoin était suffisamment décrit dans le CCTP, et l’acheteur avait répondu de manière adéquate aux questions des soumissionnaires.
Une mise en garde contre les soupçons infondés
Cette décision invite les opérateurs économiques à ne pas fonder leurs recours sur des présomptions générales, même en présence d’anciens liens entre un candidat et l’acheteur public. Elle souligne également l’importance pour les acheteurs de prendre des mesures correctrices efficaces lorsqu’un incident de procédure (comme une fuite d’informations) survient.
Enfin, elle renforce la jurisprudence de rigueur autour de l’article L. 2141-8 du CCP, en exigeant une appréciation rigoureuse et individualisée du risque de distorsion de concurrence.
Source : Conseil d’État, 7ème chambre, 23/05/2025, 500255, Inédit au recueil Lebon